"Pinguin Vortex", 50x67 cm, tirage sur plexiglas - KamilaW
Jean Paulhan...
« Quand j’ai commencé, j’étais très jeune, à aller dans les expositions de peinture moderne, j’ai vu très vite qu’on y rencontrait deux espèces de gens, dont les uns (devant Carrière ou Renoir, je suppose) rigolaient comme de petites vaches, se tapaient sur la cuisse et donnaient les signes, que je reconnaissais très bien, de la plus vive joie. On se serait dit au cirque, devant l’hippopotame ou le tapir. Moi, j’étais pour eux, je les trouvais sympathiques. Il me semblait que c’est naturel de s’amuser. Que c’est plus naturel que de garder (comme faisaient les gens de l’autre espèce) une mine morose, et de parler de grandeur morale – devant Carrière - ; ou de joie de vivre – devant Renoir.
Ou encore de section d’or, et de peindre les choses plutôt comme on les pense que comme on les voit. Car ce qui est amusant, et même passionnant dans la vie, c’est de voir les choses et pas du tout d’y penser. Jamais personne de sensé n’irait tout seul imaginer l’hippopotame, par exemple, avec son oreille vibratile et les gouttes de goudron qui lui traversent la peau. Mais quand on en a vu un, on demeure bouleversé quelques jours, à moins d’être insensible. Donc, j’étais du côté des gens qui riaient. Je découvris plus tard autre chose.
C’est que les rieurs étaient mécontents de rire, et les gens sombres satisfaits d’être sombres. Voilà qui était plus sérieux. Voilà qui avait l’air d’une erreur tout à fait générale. Quand ils avaient fini de se taper sur la cuisse et de se cogner du coude, les gens joyeux disaient : « On s’est foutu de nous. Je n’y remettrai plus les pieds. Pauvre France. » Mais les gens tristes disaient : Quelle âme ! Il faudra y amener ton beau-frère. Ah ! Jean Dolent avait raison d’écrire… » Car leur critique favori, pour comble, s’appelait Jean Dolent. Il a donné son nom à une rue.
Et moi, j’avais le sentiment qu’ils se trompaient tous, que ç’aurait dû être le contraire, que les gens joyeux auraient dû être satisfaits, et les gens tristes mécontents. Enfin, qu’il y aurait eu là une sorte d’accord à établir entre eux, une découverte à faire. […] Le fait est que je me trouvais d’accord avec les gens tristes. […] Mais ça ne m’empêchait pas de m’amuser d’abord. De rigoler avec les gens qui rigolaient : d’une dame qui ressemblait à un éléphant ; d’un cheval qui était monté sur un toit ; d’une autre dame qu’on voyait à la fois de face et de profil. Eh bien ! j’étais à la fois de face et de profil, comme cette dame : je rigolais, mais je trouvais ça très beau. Je m’amusais, mais j’étais convaincu. […] C’est qu’il est normal, il est même, je voudrais dire, humain que l’art et la peinture en particulier, soient une sorte de fête ou de frairie, et ne cessent pas pour autant d’être admirables. Il y a des secrets de ce genre de tous les côtés, et il n’est pas toujours facile de les découvrir. Par exemple, je crois que j’arriverai un jour à voir avec joie les vieux tableaux d’un musée…